En ce matin du 6 juin 1944, 156 000 soldats alliés débarquent sur les plages de Normandie. Une gigantesque force armée qui s’apprête à libérer l’Europe du joug nazi. Parmi ces combattants, 225 rangers américains commandés par le colonel James Rudder. Leur mission : neutraliser une puissante batterie côtière allemande, qui pourrait mettre en péril toute l’opération du Débarquement. Jeunes hommes intrépides et téméraires, ils vont se lancer dans le raid le plus périlleux du D-Day, l’assaut de la pointe du Hoc.
Dans les barges qui les conduisent à une mort certaine, les soldats des 2e et 5e bataillons de rangers savent qu’en cette journée du 6 juin leur entraînement commando va s’avérer utile. En effet, derrière les rampes qui vont s’abaisser se dresse la plus haute falaise de Normandie : la pointe du Hoc. Comme Richard Sullivan, Joseph Lacy et Julius Belcher, plus de 200 GI héroïques vont sacrifier leur jeunesse et leur innocence pour la liberté. Lorsque la vague d’assaut américaine déferle sur la plage, le déluge de feu ennemi s’abat.
Une attaque minutieusement préparée
▲ Lieutenant-Colonel James E. Rudder, chef de file des rangers américains (©omaha.free.fr)
Fondée un an plus tôt aux États-Unis, cette jeune unité de rangers va vivre son baptême du feu en Normandie. Pour cette mission spéciale, une centaine d’engagés volontaires gagnent le camp Forrest. Pendant six mois, ils sont formés à la stratégie militaire. Parmi eux, le lieutenant George Kerchner raconte : « On nous disait que rien n’était impossible. Notre entraînement était d’une rare intensité. Mais au fond, on savait pourquoi on se préparait à cela.». Sous le commandement du lieutenant-colonel James E. Rudder, les exercices de reconnaissance et les manœuvres d’appontage aux grappins s’intensifient sur l’île de Wight en Grande-Bretagne, afin de préparer le débarquement. Pour conquérir la pointe du Hoc, les Alliés mettent en place deux compagnies d’une centaine de soldats chacune afin de garantir la réussite totale de la mission. Après plusieurs semaines d’une attente interminable, les hommes du colonel Rudder embarquent dans la nuit du 5 au 6 juin pour un débarquement militaire sans précédent.
Trente minutes en Enfer
Il est 4h30 du matin lorsque les hommes de Rudder prennent place dans leurs péniches Dukw amphibies. Malgré la houle qui chahute les embarcations américaines, la Royal Navy estime que les soldats arriveront sur zone vers 6h30. L’objectif des rangers : lancer deux attaques simultanées sur les côtés de la Pointe du Hoc, pour créer une brèche dans les défenses allemandes d’Omaha Beach. Mais la mission se complique lorsque les barges dévient de leur cap initial de deux kilomètres. Malgré le soutien aérien de la RAF, les rangers arrivés avec près de quarante minutes de retard, tombent sous le feu nourri des mitrailleuses allemandes. James Eikner se souvient : « Quel cauchemar ! Je me rappelle très bien des impacts de balles contre notre chaland. On s’est dit : ”Bon sang les Allemands ne plaisantent pas”. Ils nous allumaient comme à la fête foraine. On écopait, on vomissait et on évitait les balles, tout ça en même temps. Un véritable carnage.». Dans ce vacarme assourdissant d’explosion de mitrailles et de grenades, la troupe d’élite foule le sol normand à 7h10. Malgré la forte résistance allemande, les américains bien décidés à prendre position sur la falaise, lancent leurs grappins (crochets utilisés pour grimper) à l’aide des lance-fusées installés sur leurs barges LCA. Mais les cordages lourds et mouillés par la marée n’atteignent pas leurs cibles. Sur les 20 grappins tirés, seuls huit s’accrochent au sommet. Malgré l’acharnement des défenseurs allemands, les valeureux GI mettent moins de trente secondes pour gravir la falaise.
▲ Soldats du 5e bataillon de rangers débarquant sur le secteur de la Pointe du Hoc au matin du D-Day (©wallscover)
Sur les 225 combattants lancés dans l’opération, 80 sont neutralisés en à peine une heure de combat. Les groupes de rangers progressent par vagues successives pour repousser l’ennemi. Équipés de leur célèbre pistolet-mitrailleur Thompson, les groupes de soldats organisés par tirs de couverture neutralisent tour à tour les positions ennemies. Mais lorsque le bunker principal tombe aux mains des Alliés, ces derniers constatent avec stupeur que les canons sont en réalité des poteaux télégraphiques camouflés en batteries. «Les Allemands n’auraient pas passé autant de temps à dépenser de l’argent à construire des leurres s’ils n’avaient pas eu l’intention de se servir de leur artillerie lourde.» Un constat fataliste du lieutenant George Kerchner, qui annonce la dureté de la contre-offensive allemande qui se prépare.
Tenir la position
Vers 9h00, la pointe du Hoc est sous contrôle américain. Le lieutenant James Eikner transmet à l’USS Satterlee le message codé « Dieu soit loué » pour signaler la réussite de l’opération à la Marine et demander le renfort nécessaire pour tenir la position. Pourtant, le haut-commandement persuadé de l’échec de l’opération envoie toute la troupe de réserve à Omaha Beach. Les renforts escomptés n’arriveront jamais. Pendant deux jours, Rudder et ses hommes vont faire face aux premier et quatrième bataillons de la 352e division d’artillerie allemande, dans des combats d’une extrême violence.
▲Sévères affrontements entre américains et allemands à la pointe du Hoc du 6 au 8 juin 1944 (©TourismeNormandie)
Poursuivant leur mission à l’intérieur des terres, les rangers trouvent enfin les cinq canons allemands de 155mm dans un verger isolé, situé sur la route de Grandcamp-Maisy. Profitant de la déroute tactique adverse, un commando mené par l’adjudant-chef Leonard Lomell sabote les culasses des canons à coups de grenade thermique. Chauffés à 3000°, les mécanismes des batteries sont neutralisés dans la plus grande discrétion. « On est arrivé à une haie, j’ai regardé par dessus, on a eu du bol, ils étaient là. Génial, je vais tout faire péter ! On a mis hors d’état ces canons. Et le plus drôle, c’est que les allemands ne s’en sont même pas aperçus.». Pourtant, des escarmouches s’engagent et les Rangers sont rapidement encerclés par l’armée nazie. Malgré sa blessure à l’épaule, Rudder lui même mène ses troupes à l’assaut. Le carrefour de Vierville-Grandcamp se transforme en un véritable champ de bataille. Subissant la contre-attaque inattendue de troupes allemandes en provenance d’Isigny, le sergent Jack Kuhn attaque de front avec ses compagnons d’armes afin de désenclaver la ligne de front adverse. Sous le feu des bunkers de la falaise, les fantassins alliés se heurtent à une résistance allemande qui essaye d’endiguer leur progression. Affaiblies, à court de munitions et de vivres, subissant de lourdes pertes, les troupes du colonel Rudder réussisent à contacter l’USS Texas, qui dans l’après-midi du 7 juin envoie les renforts tant attendus depuis quarante-huit heures. Au matin du 8 juin, tout est neutralisé et la mission est remplie pour les rangers de Rudder qui réussissent leur jonction avec le troisième bataillon du 116e régiment d’infanterie de la 29ème division en provenance d’Omaha. Un exploit militaire d’une rare intensité, qui aura couté la vie à 135 courageux GI’, morts pour la liberté à l’aube de ce bel été 44.
Mémoires d’un site historique
▲Pour les rangers américains, la prise de la pointe du Hoc demeura à jamais un haut fait d’arme dans l’Histoire de leur unité (©DDAYOverlord)
Symbole iconique de la réussite du « Plan Overlord », la pointe du Hoc demeure aujourd’hui un lieu de pèlerinage incontournable des plages de Normandie. Un lieu de mémoire chargé d’histoire(s), qui honore le courage des combattants sacrifiés sur l’autel du devoir, pour la libération de la France. Depuis 1979, le monument aux morts perpétue la mémoire des Rangers, héros éternels du jour le plus long. Un souvenir entretenu par les vétérans américains comme George Klein, récemment revenu sur les traces de son passé.
En Savoir + : Témoignage exceptionnelle de George Klein, vétéran du 2e bataillon de Ranger qui a participé à l’assaut de la Pointe du Hoc le 6 juin 1944
À lire - Rudder : du leader à la légende, de Thomas M. Hatfield, ed. Library of Congress, 33 euros - Héros du Jour-J, de Patrick Bousquet/Hector, Orep Éditions, 12 euros - T5 : Opération Overlord - La Pointe du Hoc, de Bruno Falba/David Fabbri, ed. Glénat, 14 euros À voir - Il faut Sauver le Soldat Ryan, de Steven Spielberg, avec Tom Hanks et Matt Damon (1998) - The War, de Ken Burns et Lynn Novick, avec Philippe Torreton (2007)