Virginie Girod est docteure en histoire. Ses travaux sont spécialisés sur l’histoire des femmes dans la Rome antique. Entretien exclusif sur l’évolution de la sexualité féminine au fil des siècles.
Qu’est-ce qui vous attire dans l’étude de la civilisation romaine ? Et pourquoi avoir choisi cette période de prédilection ?
Virginie Girod : « Depuis très longtemps, l‘antiquité m’a toujours fasciné. Il y avait Pompéi et plein de grandes figures qui étaient extrêmement intéressantes à étudier. Je pense que c’était une volonté de comprendre la société dans laquelle je vivais, notamment sur la place des femmes dans la société. Et c’est à Rome, que j’ai trouvé mes réponses. Cette civilisation est vraiment le berceau de la nôtre ».
Concernant le traitement médiatique de l’Histoire, quelle démarche adoptez-vous pour la transmettre au grand public ?
Virginie Girod : « J’essaye de la rendre accessible. C’est très important pour moi. Je veux que quelqu’un qui ait envie de découvrir la période puisse la comprendre. J’essaye de m’exprimer dans un langage aussi clair que possible. Je m’attache à raconter des choses factuelles, tout en y mêlant des passages d’analyses les plus fluides possible. L’idée, c’est de donner du plaisir aux gens quand ils lisent. L’Histoire ne doit pas être ennuyeuse et c’est ça qui est le plus important pour moi. La finalité, c’est quand quelqu’un referme votre livre, en vous disant : « je l’ai lu comme un roman ». Cela veut dire que j’ai réussi mon travail ».
Peut-on dire que vous êtes une enquêtrice spécialisée sous les jupons de l’Histoire ?
Virginie Girod : « Il ne faut pas dire ça à Christine Bravo, c’est son émission (rires). Je me suis intéressée à l’histoire des femmes et à l’histoire de la sexualité, parce qu’en réalité, c’est beaucoup moins trivial que ce que l’on imagine. L’histoire de la sexualité, c’est de la politique. C’est ça qui m’intéressait et la façon finalement dont on oblige les gens à vivre. Mais, aussi dont on limite les libertés des femmes ».
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la sexualité des femmes au fil des siècles ?
Virginie Girod : « Les choses n’ont pas beaucoup changé. Le rapport au corps des femmes est arrivé très tardivement dans l’histoire. Notamment, à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, avec l’apparition de l’avortement et de la Loi Neuwirth pour la pilule. Cela va permettre aux femmes de gagner une certaine liberté. On a l’impression, aujourd’hui, d’avoir presque atteint l’égalité. En réalité, on en est très loin. La vieille dichotomie entre la mère et la putain est toujours très prégnante dans notre société ».
Vous avez porté vos recherches sur des femmes influentes et mythiques, telles Cléopâtre, Agripinne et Théodora. Qu’est-ce qui vous a fasciné chez elles ? Selon vous, qu’est-ce qui explique cette fascination obsessionnelle des historiens pour les destins de ces grandes dames ?
Virginie Girod : « Elles sont libres. Elles sont transgressives. Elles n’acceptent pas les règles du jeu que la société leur impose donc elles les contournent. Au mieux, elles essayent d’exercer le pouvoir. Cela a été le cas, pour chacune des femmes que j’ai étudié. Elles composent avec un univers, en essayant de changer les règles. Je crois que c’est cela qui me fascine à titre personnel chez ces femmes. Elles sont libres ».
Pouvez-vous nous parler de vos travaux sur les femmes et le sexe dans la Rome Antique ?
Virginie Girod : « J’essaye de comprendre comment s’est forgée la morale sexuelle. Ce qui est permis ou interdit sur ce sujet, à cette époque. Entre la morale et la réalité, on s’aperçoit aussi qu’il y a un grand hiatus ».
Avez-vous une anecdote croustillante, à ce sujet, à nous faire partager ?
Virginie Girod : « Je vais vous parler d’un graffiti qui m’abuse beaucoup (rires). Il a été trouvé dans l’atrium d’une maison pompéienne. L’atrium, c’est la pièce centrale de la maison. Une pièce de passage que tout le monde, des esclaves au maître utilisent. Un inconnu a eu l’heureuse idée de graphiter ce message : « Sabine, tu suces et tu le fais mal ». 2000 ans plus tard, on en parle encore. Ce qui est terrible, c’est ce message est diffamatoire. Sabine est une femme libre d’après l’étymologie de son nom. Ce graffiti est une manière de la diffamer. On dit qu’elle s’adonne à une pratique sexuelle, qu’elle n’est pas censée faire en tant que femme libre. De plus, on lui dit qu’elle le fait mal. Ce qui est l’injure suprême puisqu’elle se permet de se dévoyer pour rien ».
Histoire et féminisme : deux notions compatibles ?
Virginie Girod : « C’est compatible. Mais il ne faut pas faire de l’histoire un instrument de lutte politique. Je suis très ferme sur ce sujet. J’essaye de restituer l’histoire, au plus proche de ce qu’elle a été. J’essaye d’être honnête dans ma démarche. Évidemment, si j’étudie les femmes, c’est aussi parce que quelque chose m’intéresse dans leur histoire. Je pense qu’il faut avoir une démarche la plus honnête possible. C’est ce que je reproche en général, aux véritables « gendre studies » américaines. Elles manipulent l’histoire pour en faire un discours politique et je n’adhère pas du tout à ce mouvement. »
L’Info + : Auguste et les femmes fatales – le Café Histoire de Virginie Girod
Découvrir les travaux de Virginie Girod :
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Les Femmes et le sexe dans la Rome antique (2013), édition Tallandier, 368 pages, prix : 23,90€ ;
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Agrippine - Sexe, crimes et pouvoir dans la Rome Impériale (2015), édition Tallandier, 304 pages, prix : 20,90€ ;
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Théodora : Prostituée et impératrice de Byzance (2018), édition Tallandier, 304 pages, prix : 20,90€
M.C.