Journaliste reporter d’image pour Terre information magazine, l’adjudant-chef Jean-Raphaël nous présente les coulisses du métier de reporter de guerre. La médiatisation des conflits, le travail de reportage aux côtés des soldats, le sous-officier dévoile ses méthodes de travail. Co-auteur du livre PARAS, avec un journaliste indépendant, ce photographe militaire raconte comment cette passion est devenue son métier. Entretien.
Un visage, un regard, une émotion que chacun tentera d’interpréter à sa façon avec son passé, son histoire, son vécu.
Focus sur “Les visages de l’@armeedeterrere“, expo ???? réalisée par nos soldats de l’image, pour le #FestivalOFF du @Visapourlimage.#FiersDeNosSoldats pic.twitter.com/pqpXJQfADv
— Armée de Terre (@armeedeterre) September 5, 2019
Pouvez-vous nous définir la notion de reporter de guerre ?
Adjudant-chef Jean-Raphël : « Le reporter de guerre, c’est quelqu’un qui se spécialise dans le journalisme de conflit. Ça peut-être des guerres conventionnelles ou des guerres plus diffuses. Ce sont des gens qui partent principalement sur des théâtres de conflits, avec un risque qui est plus important que dans d’autres reportages. »
Quelles sont les méthodes de travail d’un journaliste de Terre information magazine ?
Adjudant-chef Jean-Raphël : « Les méthodes de travail sont extrêmement diverses, parce qu’elles vont dépendre de ce que l’on va faire comme type de reportage. On travaille essentiellement avec des gens en tenue camouflée, mais qui ont des fonctions très différentes. Ça veut dire qu’on ne va pas faire un reportage de la même manière. Par exemple, on ne va pas parler d’un général quatre étoiles dans son bureau comme on parle d’un groupe de combat au fin fond du désert malien. Tout dépendra du sujet. En fonction de cela, le rédacteur va préparer son reportage, d’un point de vue logistique et de l’angle, comme n’importe quel journaliste civil pourrait le faire. On va se poser la question de ce que l’on va voir. Quels vont être nos interlocuteurs. L’action que l’on doit suivre. Il n’y a pas une méthode de travail type. En revanche, la rédaction se trouve dans un système particulier avec un système hiérarchique très claire. Pour nous, au magazine, on va forcément avoir un point d’entrée hiérarchique pour commencer nos reportages. En l’occurrence, la plupart du temps, le responsable de la communication des unités (NDLR : officier communication & information) dans laquelle on va se rendre est vraiment notre point d’entrée pour réaliser le reportage. »
En tant que JRI, comment concevez-vous votre rôle lors des opérations militaires ?
Adjudant-chef Jean-Raphël : « Il y a deux choses qui sont importantes pour nous, communicants de l’armée de Terre. Le premier, c’est d’aller faire notre reportage et de récupérer les informations dont on a besoin pour pouvoir écrire nos articles. Maintenant, dans le cadre spécifique d’une opération, notamment Barkhane au Mali ou en Irak, sur des théâtres un peu plus délicats, ça va être de s’intégrer à une unité sans les mettre en danger. Même si on doit ramener notre reportage, il ne se fera pas au péril de la vie des gens qu’on vient rencontrer. Il va falloir s’intégrer à l’unité que l’on suit sans devenir un poids. Alors, cela ce fait de plusieurs manières. D’abord en comprenant où l’on va. S’y préparer physiquement et psychologiquement. Ensuite de s’intégrer avec les gens, donc de trouver notre place au sein du groupe, par exemple avec qui on va patrouiller pour ne pas les gêner dans leur action. Et si la situation dégénère, qu’on ne devienne pas une source de questionnement. Ça veut dire que le chef de groupe qui est en train de commander, il ne doit pas se demander où est le journaliste. C’est à nous de trouver notre place et cela vient avec l’expérience. Mais, nous sommes militaires. Déjà, on a certains réflexes sur notre positionnement dans une opération et les gens nous intègrent facilement parce que l’on est dans la même tenue qu’eux. Il faut trouver ce juste-milieu entre ramener son reportage et ne pas compromettre la mission des gens que l’on va suivre. »
Quel théâtre d’opération a été le plus marquant pour vous ?
Adjudant-chef Jean-Raphël : « L’Afghanistan ! Je m’y suis rendu 11 fois. C’était un théâtre où il se passait énormément de choses. Entre 2001 et 2012, c’était la plus grosse opération de l’armée de Terre. En zone de guerre, les gens sont beaucoup plus honnêtes dans leurs comportements, dans leurs manières de parler, dans leurs manières de vivre. Pour un reporter, les photos parlent d’elles-mêmes. On n’a pas à mettre les gens en scène. La scène est là tous les jours. D’ailleurs, en Afghanistan, sans même parler de combat, c’est un pays qui est absolument incroyable en terme de paysages et d’images. On dit souvent entre nous que c’était le paradis des photographes. Il y avait des images à faire tout le temps. L’Afghanistan est un pays sublime. À titre personnel, c’était une mission assez incroyable et dure. On était très souvent dans le dur des opérations. Il a fallu s’intégrer avec les gens et là s’intégrer à des moments qui étaient très compliqués. Ça demandait une cohésion très forte avec les gens que l’on suivait. L’Afghanistan a été un tournant pour nous les photographes et du personnel de la communication des armées de manière plus générale. C’est un théâtre où on a perdu un camarade photographe. Il était en train de faire son travail quand il a été tué lors d’un attentat où il y a eu quatre autres morts. Cela faisait très longtemps qu’un opérateur audiovisuel de la défense n’avait pas été tué au combat. Ça a rappelé aux plus jeunes que suivre les militaires sur le terrain comprenait des risques. La mort au combat du sergent Sébastien Vermeille a été un tournant, pour tous ceux qui pensaient que c’était juste faire des photos aux cérémonies. Il fallait au même titre que les militaires, se préparer, s’entraîner et se préparer au pire. »
Les journaliste civils, sont-ils qualifiés pour couvrir les opérations de l’armée ?
Adjudant-chef Jean-Raphël : « Incontestablement, les journalistes civils sont tout à fait qualifiés pour suivre nos actualités. Ce sont pour beaucoup des vrais professionnels qui connaissent tous les ressorts et les traditions de l’armée de Terre. Aujourd’hui, en France, on a un certain nombre de journalistes qui sont identifiés comme spécialistes de la Défense et qui eux ont une connaissance très pointues des armées. Beaucoup plus que nous d’ailleurs, puisque finalement, eux vont balayer tout le spectre de la défense alors que typiquement nous au magazine, on est sur le créneau de l’armée de Terre. On a bien entendu des connaissances sur le Marine et l’armée de l’Air, mais, qui sont plus généralistes. Alors que certains et certaines journalistes qui travaillent avec la défense depuis de nombreuses années, ont eux des connaissances plus fines sur l’armée française. Ils sont qualifiés. Après, dans le cas particulier des opérations extérieures, il y a des journalistes aujourd’hui qui sont largement capés pour partir en opérations qui ont une expérience absolument incroyable et dans des situations souvent plus critiques que nous. Un journaliste militaire quand il part sur le terrain, il est jamais tout seul. Il est au milieu d’un groupe de combat avec dix hommes armés jusqu’aux dents qui représentent un premier rideau de sécurité qui est pratiquement impénétrable. Le journaliste civil qui lui va couvrir des conflits, va souvent se retrouver un peu seul et pas armé avec le risque de se retrouver kidnapper. Ils prennent souvent plus de risques que nous. De ce fait, quand ils nous accompagnent, on a des gens qui sont largement capés pour pouvoir nous suivre. »
Collaborez avec eux apporte t’il quelque chose à votre travail ?
Adjudant-chef Jean-Raphël : « Quand on se rencontre avec des journalistes, c’est toujours intéressant. Les voir travailler leurs interviews, les voir sur le terrain, on a toujours des choses à apprendre d’eux. Ça fait presque vingt ans que je fais de la photographie, en tant que professionnel et à chaque fois, je me précipite vers les autres photographes que je peux rencontrer parce que l’on peut toujours apprendre des choses. C’est d’ailleurs ça qui est intéressant dans ces métiers-là. On n’arrive jamais au bout. Être avec des journalistes civils, il y a toujours une plus-value. Au même titre qu’eux nous colle aussi dès fois, parce que l’on va connaître le petite truc ou la bonne personne pour faire le reportage. C’est très rarement conflictuel quand on est sur le terrain avec des équipes civils. Le conflit qu’il peut y avoir lorsque l’on est uniquement entre nous, c’est le conflit entre photographes et cameramen. C’est très bien de travailler avec des journalistes civils, on progresse ensemble. »
Pourquoi médiatiser la guerre ?
Adjudant-chef Jean-Raphël : « Je ne pense pas qu’on médiatise la guerre. On va raconter ce qu’il s’y passe. Le dernier exemple le plus frappant, c’est bien le Yémen. Si la photographe Véronique de Viguerie, n’avait pas été au Yémen l’année dernière pour couvrir ce conflit, on aurait complètement oublié ce qu’il s’y passait. Les journalistes civils ne cherchent pas à faire des images de la guerre en elle-même. Ils vont faire des images de la guerre pour raconter ce qui s’y passe. Et puis la guerre sur le terrain est un moment extrêmement particulier. Il est difficile de la raconter. En l’occurrence, le journaliste a ses ressorts pour la conter. La guerre paraît lointaine pour le public. Ça fait plus de soixante ans maintenant, que l’on a pas eu la Guerre sur notre territoire. C’est important d’expliquer que par le monde, il y a des conflits qui font des morts, qui créent des famines, des catastrophes humanitaires. Pour cela, il y a besoin que les gens aillent le raconter. Par exemple, les gens ont été très choqués de la guerre des Balkans, dans les Années 1990, notamment au stade de Sarajevo qui était devenu un cimetière, alors que quelques années auparavant, il y avait eu des Jeux olympiques. C’était pas si loin de chez nous et cette actualité parlait au grand public. Il faut des images pour aller raconter la guerre. Il n’y a pas de plaisir à raconter la guerre, en revanche cela répond à un besoin d’informer. »